Pensées vagabondes… 74. Le vieil homme

Le texte d’aujourd’hui fait-il suite à celui d’hier ?

En tous cas, promis, il n’y a plus de crocodiles!

Le vieil homme chercha des yeux son écritoire et une plume. Mais il était déjà tard et avec l’âge, il n’était plus capable d’écrire à la lueur d’un feu de cheminée et de chandelles.

Il marcha jusqu’au jardin où les étoiles, fidèles d’entre les fidèles, allumaient dans le ciel leurs scintillements. « Combien de lettres ai-je écrit, murmura l’homme, combien de route ai-je parcouru pour pouvoir, enfin, rencontrer mon Roi demain ? Et qui a couvert le plus de
distance, les courriers ou moi ? Les courriers sans doute, mais il en manque encore : pas de lettre pour Alexandrie ni pour Thèbes, et je n’y suis jamais passé. »

Et pourtant, quel chemin parcouru depuis ce jour où, vers Damas, il avait entendu le Roi lui donner ses ordres. Dans une des lettres, il citait les mille dangers auxquels il avait échappé, des bêtes féroces aux pirates en passant par les maladies et les bandits de grands chemins. Les jeunes se pressaient pour entendre ses récits, mais le vieil homme trouvait que sa vie, le plus souvent, avait été tranquille, à mettre un pied devant l’autre, à enseigner, à écrire des lettres et à monter sa tente le soir venu.

Et les jours moins tranquilles passaient plus vite encore !

On lui avait reproché son intransigeance et son injustice et pensait-il, peut-être avec raison… Le jour même où il a conseillé au jeune Timothée de boire un peu de vin, il interdisait cette boisson à Prophimée et à Physias ! Ce Timothée en qui personne ne croyait est maintenant un chef respecté et écouté.

Le vieil homme n’avait pas envie de dormir. Ce n’est pas grave, pensait-il, car la journée de demain sera courte. Dans la pénombre qui s’épaississait, il alla plus loin dans le jardin, sentir une fois encore l’odeur des pins et le parfum subtil des oliviers, semblables à ceux dont, jeune garçon, il récoltait les fruits à Tarse dans les jardins de son père. Son gardien le suivait nonchalamment et sans zèle : les chaînes qu’il portait aux pieds quand il était hors du domaine, le vieil homme les appelait « ma plus grande gloire ». Ce n’est pas ce soir qu’il allait fuir !

Allongé dans l’herbe, le vieil homme finit par s’endormir. Il s’était demandé s’il pouvait encore ajouter quelque chose pour parfaire le chemin parcouru. Mais non, il n’y avait rien à ajouter.

Le lendemain, il reprit la route, chargé de gloire et de chaînes, sur le chemin de Rome à Ostie. C’est là qu’il fut exécuté, pour sédition, sur ordre de l’empereur Néron.

 

Philippe

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