Pensées vagabondes… 9. L’enfant qui regardait la mer

Un enfant regardait la mer.

Comme tous les soirs, il regardait la mer. La ligne d’horizon, de nette et tranchée qu’elle était dans la lumière du jour, se diluait dans la brume du soir et devenait si floue qu’on ne savait plus où terminaient les flots, où commençait le ciel.

L’enfant regardait la mer. Il aurait voulu devenir poisson. Un jour, il avait vu une injustice et s’était révolté contre elle. Sa révolte ne fut pas comprise et la surprise de l’enfant s’était transformée en colère. La colère fut punie et l’enfant s’enferma dans le mutisme. Il voudrait devenir poisson, parce que les poissons nagent en banc dans la mer, tous de la même taille en se dirigeant dans la même direction. Lorsqu’ils changent de direction, c’est tous ensemble, sans qu’un seul poisson ne puisse avoir les nageoires plus hautes que les autres.

L’enfant regardait la mer jusqu’à ce que sa mère l’appelle. Et il rentrait chez lui, muet comme une daurade en écoutant parler les grands de choses que, pensaient-ils, il ne pouvait pas comprendre. L’enfant restait muet car il savait que les grands ne pourraient pas le comprendre.

Et l’enfant regardait la mer. Et l’enfant se mit à nager vers le large. Il nagea longtemps. Plus il nageait, plus il s’épuisait. Et plus il s’épuisait, plus il se sentait libre. Et plus il se sentait libre, plus il trouvait de forces pour nager encore. Une vague, plus haute que les autres, le submergea. Perdu sous l’eau, l’enfant ne savait plus où finissait la mer, où était la surface ni où commençait le ciel. Avait-il atteint l’horizon ?

Sous l’eau, quelque chose le poussa et l’enfant retrouva la surface. Une bouée grise flottait près de lui et l’enfant saisit la bouée. Elle se mit à nager et l’enfant reconnut un dauphin. Et le dauphin ramena l’enfant sur la plage, en face de chez lui. Comment savait-il ?

Debout dans l’eau jusqu’à la taille, l’enfant regardait le dauphin, qui le repoussait du rostre vers la plage, puis qui faisait deux ou trois tours dans l’eau, toujours entre l’enfant et le large, pour revenir encore et le pousser de nouveau vers le rivage. L’enfant aurait voulu saisir le dauphin dans ses bras, mais il se dérobait avant de revenir encore. Le dauphin sortit la tête de l’eau et
l’enfant chercha son regard. Il le trouva, mais ne put rien y lire. Ce regard-là lui était étranger, il ne pouvait pas le comprendre et l’enfant se mit à pleurer. Alors, le dauphin accepta ses caresses, sortit de nouveau la tête de l’eau et l’enfant vit ce sourire, ce sourire permanent des dauphins que l’homme ne peut pas comprendre. De nouveau, le dauphin poussa l’enfant, et l’enfant fit un pas en arrière, puis un autre, jusqu’à s’assoir, le cœur battant, sur la plage. L’animal fit encore deux ou trois tours, puis plongea vers le large dans une dernière cabriole et mille étoiles d’écume.

Assis sur la plage, l’enfant regardait la mer en pleurant. Il pleurait, parce qu’il avait reçu quelque chose du dauphin, et qu’il ne pourrait jamais le lui rendre. Il regardait les vagues, chacune s’effaçait pour faire place à la suivante, qui à son tour s’épuisait sur le sable.

Sa mère appela l’enfant qui retourna chez lui en courant : il avait envie de parler à quelqu’un.

 

Philippe

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