Dans une école, un scribe recopiait soigneusement le Grand Livre des Anciens, en s’appliquant comme on le lui avait appris sur la forme des lettres et l’espacement des lignes.
Et le scribe jalousa la position d’un autre scribe, plus près de la fenêtre. Et Dieu, qui veillait jalousement sur son scribe, lui donna cette position. Puis, il voulut diriger l’école de scribes et Dieu le lui accorda. Quelques années plus tard, il était Grand Prêtre, un excellent Grand
Prêtre qui veillait jalousement sur les biens du Temple.
Et les biens du Temple augmentaient, et leur administration accaparait le Grand Prêtre de l’aube au crépuscule, perturbant même ses nuits sans qu’il ne puisse parfaire son oeuvre comme il aurait aimé le faire.
Un jour, lassé de toutes ces tâches et voulant laisser derrière lui un héritage plus éternel, le scribe commença la rédaction d’un livre. A la cour, sans même connaitre le sujet du livre, chacun lui envoyait ses idées sur parchemins et tablettes, pour aider le Grand Prêtre et se
mettre en valeur par la même occasion. Et le scribe faisait brûler chaque soir ce courrier sans le lire.
Il n’avait écrit que trois mots : « Au commencement, Dieu… »
Et chaque soir, il cherchait en vain le quatrième mot, mais aucun ne semblait convenir. Et chaque année, lors de la Grande Fête du Royaume, la cour s’extasiait sur la grandeur et sur la profondeur du livre en cours de rédaction, dont personne ne connaissait le contenu. Au bout de trois ans, on fit venir l’Erudit pour lui soumettre le manuscrit.
L’Erudit ordonna de tenir la cour à distance de la table où était posé le livre. Il prit tout son temps pour en lire l’intégralité et se construire une vue d’ensemble. Il attendit pour parler que soient exprimés les avis éclairés de tous les courtisans qui n’avaient pas eu connaissance de
ce qu’ils appelaient « les OEuvres Complètes du Grand Prêtre ». Puis il roula soigneusement le manuscrit qui ne comportait toujours que trois mots et le rendit au Grand Prêtre en disant :
« Quelle magnifique conclusion ! »
Aussitôt, un homme qui briguait un poste important dans l’Administration Centrale des Œufs et Poussins se leva et demanda qu’on annexe ce parchemin au Grand Livre des Anciens et qu’un décret royal impose à tous les scribes du Royaume de consacrer les trois années
nécessaires à en faire une copie, en apportant tout le soin nécessaire à la forme des lettres et à l’espacement des lignes, afin que la sagesse éclairée du Grand Prêtre soit connue de tous ! Et chacun de surenchérir, jusqu’à ce que l’Erudit reprenne la parole : « Vous devriez, Seigneur, vous séparer de tels hommes et les enfermer dans une école de scribes. »
Ainsi fut-il fait, et l’Erudit fut placé à la tête de tous les scribes du Royaume.
On n’a pas retrouvé le manuscrit du Grand Prêtre et son contenu précis est perdu, mais à dater de ce jour, la Loi cessa d’être la sagesse et la Sagesse devînt la loi.
Philippe