Pensées vagabondes… 46. Le siège de la Grande Ville

Cela faisant trois ans, trois longues années que l’armée avait mis le siège autour de la
Grande Ville, car la Grande Ville s’était révoltée. Et le Général voyait que les archers ennemis aux créneaux étaient de plus en plus maigres. Ils décochaient leurs flèches sur tous ceux qui
approchaient les murs, mais désormais, ces flèches étaient en bois grossier et portaient moins loin. Et le Général sût que la Grande Ville affaiblie allait bientôt tomber.

Cela faisant trois ans, trois longues années que l’armée avait mis le siège autour de la Grande Ville, trois ans que ses murs orgueilleux défiaient l’armée, trois ans que les soldats méditaient sur le sort qu’ils réserveraient à la ville quand ils seront entrés… Et le Général
aurait voulu que la ville conquise ne soit pas un champ de ruines et de cendres, mais comment tempérer la colère de dix-mille hommes ? Il demanda au fou, qui ne put le conseiller car la folie des hommes était plus grande que la sienne.

Cela faisant trois ans, trois longues années que l’armée avait mis le siège autour de la Grande Ville lorsque les murs tombèrent, enfin vaincus par les sapeurs. Le Général, à la tête de l’armée sur son char, ordonna à son conducteur d’avancer au pas et lentement, pour que
l’armée ne s’enflamme pas dans une charge effrénée. Il avait ordonné de prendre la ville, mais strictement défendu de la détruire ou de l’incendier. Dix archers scythes, durs et froids comme le marbre, l’escortaient de près et des hérauts transmettaient ses ordres.

Cela faisant trois ans, trois longues années que l’armée avait mis le siège autour de la Grande Ville lorsqu’elle entra dans la ville. Mais sa colère supplanta son obéissance et l’épée dévora aveuglément. Le Général vit un de ses hommes, un fils de Bélial souvent puni au cours
du siège, lancer une torche sur la toiture d’une maison. Sur son ordre, dix flèches scythes frappèrent l’homme et les soldats autour s’arrêtèrent, interdits. Trois peltastes éteignirent le début d’incendie. Tous les soldats en vue se mirent à suivre le général sans le dépasser et
sans courir en tous sens.

Sur une place, ils virent une jeune fille entourée de quelques enfants, tremblants sous la menace d’une demi-douzaine de fantassins. Une flèche scythe fit résonner un écu, appuyée par une raillerie du Général qui demanda aux soldats s’ils n’avaient personne d’autre à combattre que des jeunes filles… Sur son ordre, on fit monter la jeune fille sur son char, les enfants suivaient derrière sous la protection des Scythes. Les soldats étaient fiers de servir sous les ordres du seul général qui avait une aussi jolie jeune fille pour tenir son bouclier. Le bruit se rependit comme une charge de fantassins et tous les chefs de milliers, tous les centurions voulurent faire de même. Mais les jeunes filles n’auraient pas accepté de monter sur le char de celui qui aurait incendié sa maison ou massacré sa famille. Les soldats cessèrent les destructions vengeresses. Et les archers ennemis refluaient vers la Citadelle.

Quand l’armée fût au pied de la Citadelle, dernier réduit dans lequel les nobles et les officiers de la Grande Ville s’étaient réfugiés sous la garde des meilleurs archers restants, le Général s’approcha pour imposer une reddition. Un archer répondit par une flèche grossière et
imprécise, qui manqua le Général mais blessa un enfant. Et le Général ne put rien pour sauver la Citadelle, car l’armée était furieuse qu’on ait blessé cet enfant placé sous sa protection. Et le peuple incendia les portes de la Citadelle pour que l’armée puisse entrer…

Le soir venu, le Général regardait la belle captive, qui au cours du combat avait détourné vingt flèches avec le bouclier. Car elle savait que l’armée n’aurait pas pardonné la mort du Général. Elle pansait la plaie de l’enfant et expliquait au fou chacun de ses gestes, pour que le fou les enseigne à l’armée.

Et le Général nota dans son Manuel de Stratégie que là où la force fait défaut, là où elle outrepasse la pensée ou lorsque la folie des hommes ne suffit plus pour gagner des batailles, l’amour prendra la place et tiendra parole.

 

Philippe

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