Pensées vagabondes… 75. Le jour de l’homme

Afin de clore la trilogie, ci-joint la réaction de la licorne, et les statuts qu’elle en grave.

La licorne voulait traverser la rivière pour rejoindre l’enfant, mais ce jour-là, l’eau ne s’écarta pas à son passage. Mouillée jusqu’en haut des jarrets, elle secoua la tête d’un air dubitatif avant de déployer ses ailes et de voler jusqu’à l’autre rive.

Dans le ciel, les lions ailés qui n’avaient pas d’extinction de voix rugissaient contre les dragons. Les dragons répliquaient par des embrasements plus ou moins immenses, certains ne répliquaient pas. Des griffes de lumière déchiquetaient les flammes qui se dispersaient au vent, quand il y avait du vent.

« L’eau ne s’est pas écartée à ton passage, s’étonna l’enfant un peu inquiet de ce dérèglement soudain du Royaume.
— Non. C’est aujourd’hui la journée de l’homme, où tout se passe plus ou moins comme prévu. »

Et la licorne regarda vers la terre. Elle y vit des navires qui n’arriveraient que le lendemain à cause des tempêtes, des secours appelés « trop tard », des images que personne ne lira jamais et des partitions écrites pour l’usage exclusif de leur auteur. Elle vit également des éléphants aux puissantes défenses cesser de glorifier Dieu car on leur avait pris cet ivoire. Et l’enfant se mit à pleurer à cause des éléphants.

Alors la licorne lui montra des maisons qui auraient dû être incendiées, mais le feu n’avait pas pris. Elle lui montra tous ceux qui avaient été guéris ce jour-là avec ou sans le secours de la médecine et les vagues qui se calmaient sans avoir englouti les navires dans l’abîme.
Séchant ses larmes, l’enfant s’étonna :
« Mais pourquoi cette journée de désordre dans le Royaume ?
— Au cours de cette journée, parfois, nous intervenons »

Et la licorne montra sur la terre un jeune garçon condamné par les hommes à être décapité, car il avait été surpris deux fois de suite à fumer dans les rues de sa ville. Lorsque le sabre se leva, la licorne lança un éclair : le sabre et celui qui le tenait furent changés en statues de pierre. L’enfant fut soulagé :
« Tu as ce pouvoir ?
— Je n’ai changé que le sabre. Cet homme était déjà une statue de pierre.
Tu ne le voyais pas ? »

Et l’enfant observa la terre avec le regard de la licorne. Il vit une statue de pierre signer des contrats au bord d’une piscine, pour que des hommes travaillent dans des mines insalubres à extraire des métaux rares et des pierres précieuses dont ils ne profiteraient jamais. Mais la
chaleur des pierres précieuses chauffait l’eau de la piscine où nageaient trois statues de pierre de plus petite taille, qui hériteront un jour du pouvoir de la grande statue.

Et l’enfant se vit aussi, tout jeune enfant, casser son jouet. Et son père essaya de réparer le jouet mais il ne put le faire. Et l’enfant ne comprenait pas pourquoi son père avait échoué. Sa mère le serra dans ses bras, où il oublia son jouet et s’endormit.

C’est ce soir-là, lui dit la licorne, que nous nous sommes rencontrés pour la première fois.

 

Philippe

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