Pensées vagabondes… 33. Le conseil du roi

Le roi gouvernait seul et s’épuisait devant la tâche immense. Parmi les courtisans, les hypocrites simulaient la noblesse d’âme et parmi les jeunes filles que lui présentaient les ambassadeurs et les princes, les intrigantes se donnaient l’apparence de reines.

Le roi convoqua tous les jeunes nobles du royaume dans le Grand Amphithéâtre, afin de sélectionner ses futurs conseillers parmi eux le jour même. Ayant fait une entrée solennelle au son de soixante-dix trompettes éclatantes, il put voir devant lui six mille jeunes gens et quelques jeunes filles qu’il ne se souvenait pas avoir invitées.

Le roi fit entrer les scribes dans l’amphithéâtre et ils lui indiquèrent qui était lettré et qui ne l’était pas. Les rangs se clairsemèrent quand le roi fit sortir les illettrés, mais ils furent remplacés par autant de jeunes filles, poussées en avant par les princes et les ambassadeurs. Le roi ordonna donc de fermer et garder les grilles de l’amphithéâtre. Le Général entra alors et les centurions indiquèrent qui avait été valeureux dans la bataille et qui avait manqué de courage devant l’ennemi. Il ne resta que mille jeunes gens et toutes les jeunes filles car l’armée ne pouvait pas choisir entre elles. Les prêtres indiquèrent alors qui était pieux et qui ne l’était pas. Quand les impies eurent été chassés, il ne resta que six cents jeunes gens et quatre cent jeunes filles, tous et toutes de bons conseils. C’était beaucoup trop.

Le roi hésitait et le fou lui vint en aide : « Permettez-moi, Majesté, de vous proposer mes conseillers. » Et le roi accepta cette aide imprévue. Le fou fit alors entrer les lutteurs et les discoboles, qui distinguèrent ceux qui respectaient les règles lorsqu’ils concouraient dans les stades de ceux qui voulaient briller à tout prix. Et la moitié des candidats fut écartée. Puis le fou fit entrer les ivrognes du royaume, qui saluèrent de loin leurs compagnons de jeux dans les tavernes. Plusieurs jeunes gens et jeunes filles durent sortir. Le fou fit alors entrer les prostituées du royaume et les mères regrettèrent d’avoir fait venir leurs filles ! Des cris de réprobation qui s’élevaient de partout, mais le fou dit au roi : ces dames savent distinguer qui est fidèle en amour de qui se laisse facilement séduire. Après quoi il ne resta dans l’amphithéâtre que cent jeunes gens et soixante jeunes filles. C’était encore trop.

Il ne reste qu’un seul témoin, dit le fou, mais il ne peut être consulté que dans la salle close du Temple car il se déplace difficilement. On s’y rendit. Le fou fit placer les jeunes nobles près de l’entrée et ordonna à sept esclaves porteurs de larges éventails de se tenir derrière le roi. Il fit alors entrer le dernier témoin. C’était le mendiant le plus sale du royaume, aveugle, boiteux, couvert d’ulcères, de poux et de vermine. Il avait été transporté là sur sa litière par quatre soldats qui sortirent en courant. Les éventails évitaient au roi l’odeur pestilentielle du mendiant, créant un courant d’air qui concentrait cette odeur sur l’assistance. Presque toutes les jeunes filles quittèrent la pièce. Un premier jeune homme sortit en maugréant contre ce fou qui faisait choisir les conseillers royaux par un pouilleux. Le fou garda le silence pendant de longues minutes, souriant à chaque fois que quelqu’un sortait. Quand il ne resta que quarante jeunes gens et quelques jeunes filles, le fou dit au roi : Votre majesté, ces personnes sont celles qui resteront à vos côtés et à votre service dans les circonstances les plus difficiles.

Mais le roi, ayant fait s’approcher le fou, lui murmura : « Je veux un conseil restreint. » Le fou, s’adressant alors sévèrement au mendiant, lui ordonna de se tenir debout devant le roi, car rester couché en sa présence est un crime de lèse-majesté. Le mendiant ne put se lever seul et le fou dût l’aider. Immédiatement, ses vêtements furent couverts de vermine. Le fou était chétif, il s’écroula bientôt sous la charge. Sept jeunes gens se précipitèrent pour lui prêter main forte et une jeune fille plaça les béquilles du mendiant sous ses épaules. La vermine
courait sur les chemises brodées et la robe de soie, mais le mendiant se tenait debout. Et le fou dit au roi : Ces sept jeunes gens, en sus des qualités de tous les autres encore présents, montreront de la compassion et sauront agir lorsque votre peuple sera dans l’épreuve.

Pour toute réponse, le roi fit monter la jeune fille près de lui et dit :
« J’accepterai donc la première recommandation de mes sept conseillers : ils m’ont fait distinguer, parmi toutes les jeunes filles du royaume, celle qui en sera la reine. »

 

Philippe

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