Pensées vagabondes… 28. Le fou qui plantait des arbres

Savez-vous qu’un arbre, c’est plusieurs tonnes de carbone sur pied, et autant de moins dans l’atmosphère…

Le fou plantait des arbres. Il plantait, plantait et plantait encore.

Et l’Intendant se moquait de lui, car jamais le fou ne récoltait le fruit de ses arbres. Il en mangeait un peu, selon les saisons et les années et parfois le fou était gras, parfois il était maigre. Il passait toute sa vie à planter des arbres qui donnaient des fruits, puis à planter les fruits qui donnaient des arbres.

Tout était parti de l’héritage de son père : une pomme, une poire et un scoubidoubidou. Le fou ne savait pas ce qu’en faire, alors il coupa la poire en deux. Il planta le tout et disposa bientôt d’un pommier, deux poiriers et un arbre à scoubidous. Il en planta les fruits et disposa bientôt d’une plantation de pommes, de poires et de scoubidoubidous, auxquels d’autres arbres s’étaient ajoutés, apportés par les oiseaux et par un écureuil étourdi qui perdit, mais pas pour tout le monde, trois glands, une noix et cinq noisettes.

Pour l’Intendant aussi, tout était parti de l’héritage de son père : une demeure en ville, que l’Intendant avait vendue pour acheter des petites maisons qu’il louait au peuple. Il acheta d’autres biens par l’argent des loyers. Plus tard, il devint le secrétaire de la Confrérie des Propriétaires, ce qui lui permit de ruiner tous les autres propriétaires à son profit. Ensuite, il multiplia ses gains par l’achat d’une charge de percepteur : Il faut bien que tout le monde vive, disait-il en ne pensant qu’à lui-même. L’achat d’une charge de juge simplifia toutes les
procédures nécessaires à l’ouverture d’une banque et lui permit de déclarer illégales toutes les autres banques. Il se sépara de sa femme, car elle voulait des enfants et il n’aimait pas les investissements à long terme. Lorsqu’elle voulut une maison, investissement improductif, il
la répudia. Il passait le plus clair de son temps à la lueur des torches dans sa chambre forte à chasser les rats. Car des rats rongeaient les lourds coffres de bois où il entreposait son or.

Les rats rongeaient aussi dans la forêt et le fou les regardait faire en souriant, comme il regardait ses enfants couper des branches pour construire des cabanes, les piverts creuser les troncs à la recherche de vers ou les vers creuser plus loin pour éviter les pics. Il faut bien
que tout le monde vive ! Un jour, il vit un castor abattre trois frênes : il préleva une branche de saule pour préparer une canne et aller à la pêche dans l’étang qui sera bientôt prêt.

Il vit toujours dans sa forêt car Dieu, désirant modifier une règle mineure, décida d’ajouter dix années de vie à toute personne qui planterait un arbre sans raison. Or le fou a perdu la raison. Il ajoute donc chaque jour vingt ou trente ans à la durée de sa vie.

L’intendant, ayant collecté la totalité de l’or de la ville, l’entreposa dans les coffres de la chambre forte où il vécut une heureuse vieillesse à chasser les rats. Agé et rassasié de jours, il mourut étouffé en même temps qu’eux, le jour où Dieu, désirant modifier une règle mineure,
changea tout l’or du monde en fumée.

 

Philippe

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