Pensées vagabondes… 61. Un rêve, comme une nuit dans la vie d’un homme

Qui veut jouer au milieu d’un lion, d’un aigle et d’un bœuf?

Il y avait longtemps que l’homme était couché mais le poids des jours chassait le repos et repoussait le sommeil. Non pas le poids de la journée d’hier, jour joyeux de fête et de festin. Mais la fête avait souligné l’incomplétude du destin.

Finit-il par s’endormir ? Il ne le sut jamais. Il vit un lion venir vers lui. L’arrière de la tête du lion portait un visage d’homme en lieu de crinière et le visage d’homme répétait toutes les paroles du lion pour que les hommes les entendent. Dans le ciel volait un aigle qui criait aux
quatre vents les paroles du visage d’homme et les quatre vents en renvoyaient l’écho. Un bœuf mugissait puissamment vers la terre les paroles de l’aigle, et la terre tremblait au souffle du bœuf.

Le lion se tenait devant l’homme et lui demanda : « Qui es-tu ? »
Mon nom est Père Elevé <sup>(1)</sup>, répondit l’homme. Le vent fit bruisser les feuilles des arbres à la parole de l’homme et le lion attendit que le vent se soit tu avant de reprendre la parole:
« Pourquoi m’as-tu appelé ? »

L’homme ne savait pas que ses pensées pouvaient déranger un lion… Il en était confus et marqua une pause avant de répondre, mais le lion semblait trouver normal de se déplacer à la pensée d’un homme. Alors, l’homme se résigna à répondre:

« J’ai quitté ma maison, le lieu de ma naissance en Chaldée, à cause d’une promesse à laquelle j’ai cru. Mon père m’a accompagné mais il est mort en chemin. Mon frère a refusé de venir : il abreuve aujourd’hui ses troupeaux aux puits que nous avons creusés ensemble et il enseigne à ses fils la sagesse que nous avons reçue de notre père et du pays de notre naissance.

Je reste ici seul avec ma femme, car Dieu ne nous a pas donné d’enfants. J’ai de grands biens, que se partageront mes serviteurs après ma mort. Ces serviteurs, que j’aime comme un père, sont-ils les fils que je n’ai pas eus ? Ces troupeaux sont-ils le pays que je n’ai pas connu ? »

Le vent bruissa longuement dans les arbres et l’aigle vint se poser à la droite du lion. Il s’envola de nouveau en dispersant la poussière du sol lorsque le lion reprit la parole : « Crois-tu encore à la promesse que tu as reçue ? »

Ecrasé par le poids du jour, l’homme ne pouvait répondre oui cette nuit-là. Mais tout le sens de son existence serait tombé s’il répondait non. Et le vent suspendit son souffle devant l’homme qui gardait le silence.

Le lion gonfla la poitrine comme pour rugir aux hommes, aux quatre vents et à la terre entière. Ses yeux plissèrent lorsqu’il fixa l’homme avec attention et l’homme baissa les yeux car il ne pouvait soutenir le regard du lion.

Mais le lion reprit d’une voix calme : « Relève la tête, car Lui croit en toi. »
Et la face d’homme répéta « Relève la tête, car Lui croit en toi. »
Et l’aigle cria aux quatre vents « Relève la tête, car Lui croit en toi. »
Et le bœuf fit trembler la terre « Relève la tête, car Lui croit en toi. »

L’homme ne sut jamais s’il s’était éveillé ou s’il était revenu d’un monde où on ne vit normalement qu’en rêve. Devait en parler à quelqu’un ? … Qui allait le croire ? Il secoua la tête et se tourna une fois de plus sur sa couche en murmurant « Seigneur, donne-moi un fils. »

Il ne reçut que la réponse d’un bœuf, qui mugissait au loin vers la terre, dans le troupeau…

 

Philippe

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