Pensées vagabondes… 80. L’Alchimiste et les parfums

L’Alchimiste préparait les drogues qui parfumeraient le temple.

Il faisait venir de tout le royaume de nombreuses plantes et fleurs, dont très peu servaient pour le parfum du temple. Mais il fallait entretenir le secret de la composition de ce parfum, et aucun cueilleur ne savait ce qui servait ou pas. On récoltait ainsi avec soin des tiges et des fleurs de camomille, du cinnamome et de l’herbe bleue. Ces plantes qui venaient de loin augmentaient beaucoup le prix du parfum : elles ne servaient que de combustible pour alimenter le brasier de l’alambic par lequel on extrayait le nectar qui, mélangé à de l’huile, brulera dans les lampes du temple.

L’Alchimiste recevait aussi un grand nombre de coquelicots, fleurs vulgaires qu’on trouve à bon marché dans tous les champs du royaume. Les paysans n’étaient que trop contents de vendre, même à vil prix, ces fleurs qu’ils considéraient comme des mauvaises herbes à arracher.

Pour le parfum du temple, les coquelicots ne servaient à rien, eux non plus. Mais pour l’Alchimiste, ils avaient un sens. On prend la fleur, elle est très belle. On la secoue à peine, les pétales tombent comme les jours de la semaine, il ne reste que le pistil. Il faisait cueillir les étamines de ces pistils par dix esclaves, et il distillait ces étamines, pas pour le temple, mais pour parfumer sa demeure.

Et chaque soir, l’odeur âcre des étamines de coquelicots lui rappelait l’oeuvre imparfaite de chaque jour. Il revoyait aussi la beauté des pétales envolés. Et malgré l’oeuvre imparfaite de chaque jour, il se souvenait de la beauté du matin.

Et chaque matin devenait une fleur parfaite, rouge et parfumée.

 

Philippe

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