Pensées vagabondes… 96. La traversée du Grand Fleuve (bis)

La licorne observait sur la terre les hommes qui construisaient des ponts pour traverser le Grand Fleuve.

Un homme avait fondé un pont sur sa sagesse. Il y avait ajouté plusieurs arches par sa patience et sa douceur. Mais dédaignant de continuer l’oeuvre de leur père, ses fils se dispersèrent pour aller fonder d’autres ponts, nouveaux, sur leur propre sagesse. Seul, le fils cadet resta auprès de son père. Comme il était trop jeune pour construire, son père lui enseigna la pêche à la ligne et au filet. Le jeune garçon grandit et devint expert pour attraper cyprins et carnassiers.

Jamais il n’ajouta le moindre tronc, la plus petite planche ni aucune pierre à l’ouvrage : il passa toute sa vie à la pêche. Il nourrit ainsi abondamment sa famille qui s’agrandit. Car les enfants de la terre entière venaient se joindre à lui et il les accueillait tous, il les nourrissait tous, il les aimait tous. Et comme la famille s’agrandissait encore, les enfants construisirent plusieurs arches pour que leur père puisse tendre plus de lignes et de filets.

Ainsi, au fil des lignes, le pont s’agrandissait.

Cette famille fut de tous temps méprisée par les hommes qui considéraient avec dédain les antiques fondations de l’ouvrage en rocs empilés, semble-t-il, au hasard. Les hommes comparaient ces fondations avec les superbes empierrements de pierres taillées, toutes de la même taille qu’ils réalisent aujourd’hui, droites et régulières, posées au cordeau.

Mais c’est cette famille méprisée de tous qui fut la première à traverser le grand fleuve, à force d’ajouter des arches maladroites, pour tendre plus de lignes.

Philippe

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