En ce soir de la Saint Sylvestre, le roi traverse lentement la Salle du Trône. Tous lui ouvrent la route, s’effaçant devant lui d’un peu plus loin que dans les autres cours car le roi, pour la dixième année consécutive, est lépreux.
Il s’assied sur le trône et cherche en vain ses mots, ces mots qui guideront ce peuple, nobles, et roturiers, une année de plus. Mais les mots ne viennent pas. Le découragement a eu raison du souverain, qui ne voit que cette maladie qui le rongera cette année, un peu plus encore…
En silence, tous se tiennent à distance. Seul, le fou s’approche car il ne craint rien : les lépreux ne sont pas fous et donc, les fous ne peuvent pas attraper la lèpre. Agenouillé devant le trône, il saisit les deux mains du roi et fait le discours à sa place :
« Permettez-moi, Seigneur, d’effeuiller cette prose
En vieux alexandrins, où tout en eux se pose.
Vous maudissez la vie, votre sort vous exècre,
Au nom de vos sujets, je bénirai la lèpre.
Quand le roi votre père, en héros très puissant
De nobles courtisanes fut la proie si souvent,
Tout ce temps qu’il perdit à se laisser séduire
Vous, vous le consacrez à guider et conduire.
En coeur de lion Richard tenait aveuglément
Le plus fort des batailles qu’il perdit si souvent.
Votre regard malade conduit si bien vos troupes
Que l’ennemi subit défaite sur déroute.
Les palais et festins ne sont votre ordinaire
Et vous leur préférez de plus simples manières
Qui laissent au royaume son or et ses richesses
Sans les dilapider en indélicatesses.
C’est pourquoi, Majesté, je vous prie d’accepter
Le cri de tout un peuple à vos pieds prosterné :
Loin d’un roi très puissant, très battant et très preux
Nous voulons tous servir un souverain lépreux. »
Et le roi prononce cet édit : « En l’an de grâce 2016 de notre Seigneur, j’ordonne aux nobles
dames et lépreux chevaliers de ne plus s’exprimer que sous contrôle d’un fou. »
« Et de considérer
Que même nos faiblesses
Seront sources de paix
De joie et de noblesse. »
Philippe