Dans une ville de province, un étranger venu de l’occident prêcha une divinité nouvelle que nos pères n’avaient pas connue : la fée Rari. Et l’étranger devint le Prophète de la fée Rari.
Avide de nouveauté, la jeunesse de la ville sacrifia immédiatement à la nouvelle idole, parce que leurs pères ne l’avaient pas connue. Les philosophes suivirent immédiatement, ne voulant pas paraître rétrogrades ni perdre leurs disciples : ils ne comprenaient rien au culte de la
nouvelle idole, mais ils l’expliquaient bien, longuement et en détails.
Le Gouverneur, voyant la jeunesse se détourner des coutumes du royaume et le culte de la fée Rari se propager avec excès de vitesse, fit arrêter quelques jeunes pour les jeter aux lions. Mais les mères prirent parti pour leurs fils et se convertirent. Les pères suivirent peu après.
Les prêtres du Dieu de nos pères avertissaient le peuple des calamités à venir qui puniraient la ville de son infidélité. Mais Dieu voulait savoir qui restera fidèle dans l’épreuve, qui restera infidèle et qui reviendra de son infidélité : il retint sa main.
On construisit dans la cité un grand temple à la fée Rari, pour y placer la statue de l’idole et organiser son culte. On y dressa un grand cheval cabré d’or et d’argent, qu’on peignait avec le sang des sacrifices car il fallait que la fée Rari soit toujours rouge. Chaque jour, on couvrait le
dos de la statue de peaux de chèvres neuves, afin que la cité échappe à la colère de l’idole: ce sont les peaux d’échappement de la colère de la fée Rari. Et chaque jour, on brûlait sur l’autel les peaux de la veille, car l’idole se nourrissait de la fumée des peaux d’échappement.
Comme la statue était imposante, on devait sacrifier soixante-dix chèvres par jour. On en manqua bientôt. Le prophète de la fée Rari envoya des sacrificateurs dans d’autres villes pour acheter des chèvres. Et le nouveau culte se propagea dans le royaume. Le roi, voulant arrêter ce bouleversement intolérable des coutumes du royaume, fit enfermer ces sacrificateurs dans des porscheries. Car prononcer le nom de la fée Rari n’est pas autorisé quand on est dans une porscherie.
Conscient des désordres causés au royaume, le roi ordonna à l’armée d’incendier la ville infidèle et d’en massacrer les habitants. Le général préparait déjà les troupes, mais le fou proposa au roi de négocier la reddition de ces infidèles. Le roi accepta : il n’aimait pas massacrer son peuple et le fou était la bonne personne pour négocier. Il faut être fou pour vouloir changer les coutumes du royaume ! Le fou accompagna donc le Général, qui était content de sa présence très distrayante pour l’armée au cours du long siège qui s’annonçait.
Trois semaines après le début du siège, la ville disposait encore de tous les biens nécessaires et ne manquait de rien, sauf de chèvres. Le fou s’approcha des remparts et dit à la foule massée aux créneaux: Si votre prophète parle au nom d’un dieu, qu’il change les chiens de la
ville en chèvres pour son culte ! Et les sacrificateurs de la fée Rari se mirent à coller des cornes de chèvres sur les têtes des chiens. Les enfants pleuraient leurs compagnons à quatre pattes, les mères invectivaient les sacrificateurs car elles n’arrivaient pas à consoler leurs enfants, les jeunes criaient à l’imposture et les anciens de la ville regardaient avec suspicion ces drôles de chèvres, capables d’aboyer et de faire la chasse aux rats par un miracle de la fée Rari. Mais la ville tint ainsi deux semaines de plus, puis elle manqua de chiens.
Le fou s’approcha de nouveau des remparts et dit : La fée Rari agréera, en place de peaux de chèvres, des peaux de sacrificateurs car ils sont tellement imbibés de l’odeur des chèvres qu’ils en ont reçu la grâce. Et plus personne ne voulut sacrifier à la fée Rari, ni lui être fidèle.
Désormais seul, le prophète se réfugia dans le temple. La population ayant ouvert les portes à l’armée, il se réfugia sur l’encolure du cheval cabré, accroché aux peaux d’échappement. Du haut de la statue, il invectivait le peuple et le menaçait des pires calamités et de la foudre.
Et Dieu accomplit cette parole du prophète. Un immense éclair tomba du ciel, faisant s’effondrer le temple sur l’autel, fondre la statue et fumer les peaux d’échappement comme jamais, d’un feu sacré alimenté par l’orgueil du prophète.
Philippe