Pensées vagabondes… 69. La Forteresse

Le roi observait le peuple qui construisait une forteresse.

« Cette forteresse, je l’ai voulue, disait-il à son fils, j’en ai ordonné la construction. Mais je me souviens de ma colère lorsque le gouverneur de cette province a proposé de l’édifier ici, « afin d’améliorer la sécurité des frontières ». Et le gouverneur n’a pas compris la raison de cette
colère.

J’ai reçu ce royaume de mon père, qui l’avait reçu de son père. Je te le transmettrai, semblable à ce que j’ai reçu, différent de ce que j’ai reçu. En rien, il ne sera « mieux » que ce que j’ai reçu.

Si Dieu nous donne des famines, nous construirons des greniers pour « mieux » résister à la famine. Ainsi donc, la famine serait une « amélioration » du royaume ? Dis-le à l’enfant qui a faim et écoute sa réponse…

Ainsi donc, les médecins recherchent-ils de nouvelles drogues et les herboristes recherchent-ils de nouvelles plantes pour parfumer les onguents dans le royaume qui s’agrandit et dont les plaies sont désormais plus nombreuses. Comme de nouveaux onguents, j’ai prononcé de nouvelles lois. Est-ce la loi qui est meilleure ou est-ce l’ulcère, plus profond et plus large, qui a provoqué ces nouvelles lois ?

Les forteresses que mon père a construites se dressent, désertes, inutiles, orgueilleuses et pathétiques, loin des frontières du royaume qui s’est étendu devant elles. Ces forteresses sont de valeur égale, ni meilleures ni pires. Il faudra les entretenir car elles serviront peut-être
encore si le royaume grandit moins vite que l’ennemi qui, déjà, rassemble ses forces. Les ouvriers sont en train de monter une lourde pierre tout en haut de l’ouvrage. Le tailleur de pierres qui lui a donné les dimensions voulues observe la manœuvre pour voir le soin qu’on a
de son travail de la journée. Mais il saisira bientôt ses burins et son maillet pour que la pierre de demain soit prête. Il explique à son fils pourquoi la surface d’aujourd’hui est striée alors que celle de demain sera lisse. Par chaque pierre qu’il taille, c’est son fils qu’il façonne.

Le maçon regarde également s’élever la pierre et finit de préparer son mortier en pensant que sa journée sera bientôt finie. Son fils, qui portera le mortier au faîte de l’ouvrage, sait déjà que la journée de demain sera semblable et différente. Le mortier contiendra un mélange différent de sable, de gravier, de cendres et d’eau, mais la manière de le mélanger à sec, puis avec l’eau, sera la même.

Ainsi, je ne construis pas cette nouvelle forteresse pour que le royaume en soit meilleur, mais pour que le royaume en soit semblable. Et par cette nouvelle construction, il sera différent. Et les ouvriers qui la construisent sont différents de ceux qui ont construit les forteresses de mon père, mais ils leurs sont semblables. »

 

Philippe

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